La culture du café peut-elle participer de manière significative au développement de l’économie au Sud Kivu ? Qu’en est-il des caféiculteurs déjà installés dans le milieu ? Quel est le taux d’exportation de ce produit ?
Ces questions se posent généralement par plus d’un congolais avisé qui connait la valeur d’investir dans l’agriculture. Dans l’ancien temps les colons belges sont devenus riches non pas seulement dans l’exploitation de minerais mais plutôt en développant l’agriculture du café au Congo.
Au cours d’une interview avec la rédaction Mkulima, Eleuther MUSEGE Kadahano, Président du Conseil d’Administration de l’Union des Producteurs Agricoles du Congo (UPACO) et Point focal de la FEC agricole au Sud Kivu donne une lumière sur la vie du caféiculteur en province.
Ci-dessous l’intégralité de l’interview
Quel est votre domaine d’intervention ?
Nous sommes dans la chaine de valeur qui est celle de la production, la transformation et la commercialisation. Les membres sont les grands concessionnaires, les métayers, des coopératives agricoles travaillant dans la production animale, végétale et aléthique. Nous avons aussi le secteur privé que nous encadrons dans les formations technologiques et dans des plaidoyers.
Les caféiculteurs dépendent du marché extérieur. Comment booster le marché local ?
La dépendance est normale car nous sommes dans un monde inter polaire aujourd’hui où l’économie est devenue universelle et internationale. C’est pour cela que nous devons avoir notre spécialité. Nous travaillons à partir de la chaine de valeur quand nous faisons la production, il faut arriver à transformer et à commercialiser. Nous sommes perdants quand nous transportons nos produis à l’état brut.
Faire consommer le café sur le marché local est-il possible
Imaginez-vous au Congo nous avons plus de 80 millions d’habitants, nous-mêmes nous sommes consommateurs et nous avons le meilleur café du monde apprécié partout localement (Kabare et Idjwi) et à l’international.
Nous sommes à un stade ou l’État Congolais devrait accompagner les producteurs, les organiser à partir de la chaine de valeur, afin d’avoir une bonne production en qualité et en quantité. Nous avons 65 000 kilomètres carrés de terres arables dans les huit territoires du Sud Kivu. Si nous entretenons bien les mar chés locaux, si le pouvoir d’achat du peuple peut être revisité par les autorités nous aurons un bon marché.
Actuellement comment se passe cette exportation particulièrement au Sud-Kivu ?
Ce sont des coopératives qui produisent plus ou moins 3 containers pour toute une province. Les tracasseries arrivent toujours en Afrique, l’exportation nécessite beaucoup de paramètre, de services; vous allez voir au Rwanda par exemple quand ils veulent exporter, ils vendent au marché international au même prix, mais en RDC vous vous rendrez compte que vous avez perdu plus de 30% contre 2 % au pays de mille collines.
Qu’est ce qui empêche les gens à produire suffisamment du café ?
Il y a le problème des taxes et impots, Si les gens sont convaincus que l’agriculture est payante, ils vont s’y investir, payer des concessions, des produits et faire du café.
Pouvons-nous envisager diversifier notre économie en passant par la culture du café ?
L’Etat devrait s’approprier de cela, savoir qu’il y a une fuite de capitaux, l’économie n’est pas que les mines. Avant le sous-sol, il y a le sol que nous devons aussi suffisamment rentabiliser. L’économie Belge à l’époque coloniale reposait sur le café, l’hévéa, le thé et elle était riche, car diversifiée. Aujourd’hui pour avoir de l’argent il faut seulement les mines, pourtant nous pouvons tourner notre économie dans le café et si nous le faisons bien, avec un bon accompagnement à partir de la production et la transformation du café nous pouvons consommer ici chez nous 80 ou 70 pourcents et exporter le reste avec une valeur ajoutée et pas à l’état brut.
A part la fiscalité qui étouffe les agriculteurs quelles sont les difficultés auxquelles font face les caféiculteurs ?
Il faut repenser la politique agricole dans notre pays, pour inciter les gens à faire l’agriculture et surtout dans le café, dans d’autres pays il y a la subvention agricole, le crédit agricole qui n’existe pas dans notre pays. Même s’il faut prendre un crédit vous le prenez à un taux de 36 pourcents le mois. Dans d’autres pays par exemple au Kenya si vous êtes un agriculteur vous prenez du crédit à 0.5 pourcent. Il est impossible d’être compétitif dans des conditions pareilles.
Avez-vous la possibilité d’accéder aux crédits dans des banques alors que le remboursement doit s’étendre sur une longue période ?
Avec le café, vous devez attendre après 3 ans pour commencer à produire chaque année, ce n’est pas comme le maïs que vous pouvez planter aujourd’hui et après 3mois vous avez l’argent. Comment peut-on attendre trois ans sans subventions ou des crédits agricoles ?
Voilà pourquoi même bon nombre de gens qui avaient du café dans leurs concessions, l’ont déraciné pour y mettre le manioc, le maïs, etc. Il faut savoir que ça c’est une perte, nous devons arriver à réhabiliter le café comme à l’époque coloniale. La mauvaise politique justifie la faible production.
Quelles sont les propositions que vous pouvez fournir pour booster les produits agricoles ?
Nous avons donné des propositions au gouverneur qui venait d’entrer en fonction par une note technique de l’UPACO démontrant ce que nous devons faire pour arriver à booster en générale l’agriculture au Sud Kivu. Il faut faire une table ronde agricole ou nous invitons les services étatiques, les bailleurs des fonds et les acteurs dans l’agriculture les propriétaires terriens, des grands concessionnaires, les coopératives et les OP. Si nous travaillons dans cette complicité nous pouvons réussir à faire le paysannat comme le blanc le faisait et nous avons ce paquet technologique dans l’UPACO que nous appelons « l’AGRIPAD » l’Agriculture pour la paix et le développement.
Comment l’agriculture du Café pourrait contribuer au développement du Sud Kivu ?
Grace à l’appui de l’USAID aujourd’hui les coopératives ont été connectées sur le marché partout au monde parce qu’ils étaient accompagnés. Une ONG ne peut pas les accompagner indéfiniment. A côté il faut réussir à faire l’entrepreneuriat au sens propre produire en qualité et en quantité et cette qualité aujourd’hui c’est ce qu’on appelle café de spécialité produit dans la littorale de Kabare jusqu’à Kinyezire. Même à l’époque coloniale quand on parlait de K4 c’était le café du Kivu aujourd’hui il y a moyen de créer de millionnaires avec notre sol.
Est-ce que ce café est certifié et tracé pour que l’Etat aussi se retrouve ?
La petite quantité des containers qui exportent du café est certifiée et l’Etat a ses dividendes là-dessus. Le café n’est peut pas être exploité sans la transparence et la validation, tout est structuré et il n’y a pas de fraude. Il y a de cela quelques années on n’exportait même pas ce qui l’est actuellement. C’était des rwandais qui venaient en acheter mais présentement il y a de la transparence à partir du village où vous cultivez votre champ. Votre café est reconnu et certifié. Toutefois ce n’est pas encore assez nous pouvons produire plus grand que ça. Nous devons arriver à transformer notre café pour l’exporter étant un produit fini.
Est-ce que vous avez la capacité aujourd’hui de transformer le café ?
La capacité de transformation n’est pas encore possible, il faut des crédits agricoles. L’Etat dans son rôle régalien devrait accompagner les caféiculteurs, les doter des machines pour faciliter le travail, créer de l’emploi et de la richesse au pays.
Quel est le prix du kilo au marché ?
Le kilo du café varie selon le client et la teneur du café. Actuellement le prix est de 3 à 4 fois plus que ce que l’on vendait avant. Il y a même les mamans qui vendent le tout-venant, le café venu de toute part sans un bon suivi. Une assiette de café est à 7000 fc plus qu’une assiette de la farine alors que jadis ce n’était pas comme ça.
Est-ce que dans l’agriculture il n’y a pas un défi d’eau ?
Quand nous parlons de la chaine de valeur il y a entre autres la production, la transformation, la commercialisation, pour chaque étape il y a un travail de dur labeur. Ceux qui font la transformation sont ceux qui ont le plus besoin de l’eau et des stations d’eaux sont déjà dans les villages. Ça c’est une innovation que nous avons.
Nous pouvons savoir au moins les zones de productions ?
A Kabare, Kalehe-Idjwi jusqu’à Kingyezire à Minova ou provient les cafés arabicas. Ceux qui sont dans la plaine de la Ruzizi, à Mwenga cultivent du café Robusta et sont entrain de basculer vers le café Arabica jugé meilleur de part sa teneur et son traitement.
Quel message pour nos lecteurs ?
L’espoir est permis, mettons-nous au travail. Par la complicité de l’Etat, nous avons la terre arable. Il suffit juste d’organiser l’agriculture et appuyer les coopératives. Tout en travaillant en partenariat gagnant-gagnant ensemble avec des concessionnaires, nous pouvons arriver à faire du Sud Kivu un grand grenier comme avant, le rendre un eldorado économique, pourquoi pas une puissance régionale agricole.